« Weissgeldstrategie » : un véritable serpent de mer

par Nicolas Pictet, Président de la Fondation Genève Place Financière.

La « Weissgeldstrategie » est une idée du Conseil fédéral. Elle a l’ambition d’instaurer une stratégie de « l’argent propre », ce qui signifie fiscalisé, quel que soit le pays taxateur.

Il faut tout d’abord rappeler quelques faits : en mai 2009 le Conseil fédéral décide d’adopter les standards de l’OCDE en matière d’échange d’informations fiscales à la demande. En mai 2014 le gouvernement fait un pas supplémentaire en déclarant vouloir adopter l’échange automatique d’informations fiscales et non plus seulement à la demande. L’adoption de ces standards a été soutenue par la place financière.

Par ailleurs, la Suisse a adopté les standards du GAFI sur la fraude fiscale ; l’art. 305bis sur le blanchiment de fraude fiscale entrera en vigueur le 1er janvier 2016. Cette disposition s’appliquera pour les clients suivis depuis la Suisse quel que soit leur domicile.

En adoptant l’échange à la demande, puis l’échange automatique et les recommandations du GAFI, la Suisse s’est mise en conformité aux normes internationales.

Quel rôle veut donc jouer la « Weissgeldstrategie » dans un tel contexte ?

Elle est née en mars 2013, sous la forme d’un projet, prévoyant que les intermédiaires financiers doivent s’assurer de la conformité fiscale des avoirs qui leur sont confiés. Elle a disparu quelques mois plus tard, face à la fois aux critiques et à l’adoption de l’échange automatique, qui la rendait superflue. Elle était loin néanmoins d’être enterrée. On l’a vu réapparaître en juillet 2014 dans le projet de loi sur les établissements financiers. Ce surprenant retour, dans un texte consacré à la surveillance des intermédiaires financiers, a suscité un tollé qui a amené le Conseil fédéral à faire marche arrière et à retirer cette idée du projet de loi.

On aurait légitimement pu penser que, suite à ces deux revers consécutifs, le Conseil fédéral aurait renoncé. Il n’en est rien.

Le 5 juin 2015, le Gouvernement a adressé au Parlement un Message pour lui proposer de modifier la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA) afin d’y introduire des « obligations de diligence étendues pour empêcher l’acceptation de valeurs patrimoniales non fiscalisées ». Il est conçu comme un complément aux textes destinés à la mise en place de l’échange automatique.

Dans ce texte, il est admis que ces obligations de diligence accrues ne correspondent à aucun standard international.

Par ailleurs, le Message minimise l’opposition frontale provoquée par les projets de 2013 et de 2014 évoqués plus haut et prétend qu’il a été tenu compte des critiques émises lors des procédures de consultation.

Or, le fond du problème demeure inchangé. La « Weissgeldstrategie » est une idée funeste qu’il faut rejeter avec force. Les raisons en sont multiples.

Des raisons pratiques d’abord 

La « Weissgeldstrategie » renverse la présomption  d’innocence pour une présomption de culpabilité. L’intermédiaire financier doit donc s’assurer de façon proactive, et à priori, de l’intégrité fiscale de son client. On devine les difficultés que cela pose. Pense-t-on que les clients soumettront volontiers leur déclaration fiscale à leur banquier ? Non : personne ne veut ainsi se dévoiler. Pense-t-on que cette déclaration fiscale prouverait le cas échéant, cette intégrité fiscale ? Non : les revenus sont taxés après avoir été générés et dans bien des cas, pour les contribuables dont la situation est complexe, des années après. On parle de toute une panoplie de documents que le client devra signer ou produire : quelle valeur leur accorder ? Quelles vérifications complémentaires faire ? Quels risques pour les intermédiaires financiers pris au dépourvu ?

Des risques économiques ensuite 

La « Weissgeldstrategie » est une invention du Conseil fédéral, qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs et que personne n’exige de nous. C’est le parfait exemple du Swiss finish, qui porte atteinte à notre compétitivité.

Pas un client ne comprendra cette exigence supplémentaire de documentation. Nous nous mettons dans une situation impossible vis-à-vis des autres places financières. A un moment où nous luttons pour l’accès aux marchés, pour surmonter la hausse du franc et des taux négatifs, pour attirer en Suisse les talents dont nous avons besoin, la « Weissgeldstrategie » est une idée néfaste.

Des raisons juridiques enfin

Le Message du Conseil fédéral est révélateur : l’échange automatique ne libérera pas les intermédiaires financiers de leur obligation de vérification de l’honnêteté fiscale de leurs clients. En d’autres termes, nous devrons superposer deux normes : celle mondialement reconnue de l’échange automatique et celle spécifique à la Suisse d’une présomption de culpabilité des clients.

De plus, la LBA vient d’être révisée, en décembre 2014, dans le cadre de la transposition des nouvelles Recommandations du GAFI.  Du point de vue de la sécurité juridique, il n’est pas raisonnable de venir avec des propositions de modification, six mois à peine après l’adoption d’une loi, alors même que cette dernière n’est pas encore intégralement entrée en vigueur.

Il est temps d’avoir un peu de cohérence dans toutes ces dispositions.

Il appartiendra au Parlement de se prononcer sur la « Weissgeldstrategie ».

Il lui reviendra de décider s’il veut introduire un particularisme helvétique, difficilement applicable, coûteux, et incompris à l’étranger ou si, au contraire, il préfère garantir à la place financière suisse une égalité de traitement (« level playing field ») avec ses principales concurrentes et ne pas lui infliger un désavantage compétitif supplémentaire.

En un mot, c’est à lui de mettre un point final à ces péripéties.

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