Attractivité économique et fiscale : Genève à la croisée des chemins
Si Genève a su faire preuve d’un remarquable dynamisme économique face aux turbulences financières provoquées par l’aggravation de la crise de la dette dans l’Union européenne, elle doit à présent faire face à de nombreux défis, cruciaux pour ses emplois et sa prospérité. La présente Lettre est consacrée à la présentation des enjeux économiques et fiscaux et à leur impact sur la place financière, les multinationales et les personnes physiques.
Une remarquable dynamique économique romande
En mai 2012, les banques cantonales romandes ont publié une étude intitulée «Les raisons de la dynamique économique romande»1. Il est tout d’abord relevé que l’économie romande fait preuve d’une étonnante solidité face au nouvel épisode de turbulence financière provoqué par l’aggravation de la crise de la dette dans l’Union européenne (UE). Par ailleurs, pour les banques cantonales, l’écart de croissance entre la Suisse romande (PIB en hausse cumulée de 22,3% entre 2002 et 2011) et la Suisse entière (18,2% cumulés, soit 4,1 points de moins) s’explique d’abord par une « majorité de branches dont le développement est plus rapide dans la région qu’en moyenne nationale ».
Cette étude analyse ensuite les différents secteurs concernés. Elle relève que parmi les dix branches contributrices à la croissance romande, « neuf se trouvent parmi les activités se distinguant par une croissance plus rapide en Suisse romande qu’en moyenne suisse. Parmi elles, quatre ont aussi un poids plus important ». Dans ce quatuor de tête, on retrouve le commerce de gros et de détail (dont fait partie le négoce de matières premières), la banque et l’assurance, les instruments de précision (dont l’horlogerie) et les activités immobilières.
Quelques coups de projecteur ciblés
Genève a particulièrement bénéficié des retombées de ce dynamisme hors norme. Pour mieux cerner les enjeux, il convient de se pencher d’un peu plus près sur trois domaines spécifiques.
La place financière
La place financière suisse détient actuellement une part de marché de 27% dans la gestion de fortune privée transfrontalière, ce qui en fait le premier acteur mondial dans ce domaine. Par ailleurs, Zurich et Genève se situent respectivement au 6ème et au 14ème rang des places financières globales, selon The Global Financial Centres Index publié en mars 20122 . De plus, compte tenu de sa spécialisation dans la gestion de fortune privée et institutionnelle, le secteur bancaire suisse a jusqu’à présent moins souffert que certains de ses concurrents des effets de la crise financière qui a secoué la planète en 2008. Dans la Cité de Calvin, les quelque 130 banques présentes emploient environ 20'000 personnes. La place financière genevoise au sens large (banques, assurances, gérants indépendants, fiduciaires, etc.) génère près de 35'000 postes de travail à haute valeur ajoutée. On estime enfin que cette activité contribue à hauteur de 25% aux recettes fiscales du canton et des communes.
La vision idyllique dépeinte ci-dessus doit être fortement nuancée au vu des défis majeurs auxquels est confrontée la place financière genevoise :
- la stratégie de conformité fiscale (« Weissgeldstrategie ») ;
- les accords fiscaux avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Autriche.
Les multinationales
Les multinationales sont des sociétés dont les activités s’exercent dans plusieurs pays et qui font l’objet d’une gestion centralisée. Il s’agit tant d’entreprises suisses qu’étrangères. A Genève, elles sont principalement actives dans les domaines de pointe évoqués par l’étude des banques cantonales, à savoir le négoce de matières premières, la finance, l’horlogerie. Il faut bien entendu y ajouter la chimie fine et les arômes.
On compte environ 1'000 multinationales à Genève, qui assurent près de 76'000 emplois directs. Selon une étude publiée conjointement en juin 2012 par The Boston Consulting Group et par la Swiss American Chamber of Commerce, les multinationales ont été, en 2010, à l’origine de 43% du PIB genevois. Entre 2000 et 2010, ces sociétés ont contribué à 67% de la croissance du PIB à Genève et, durant la même période, elles ont été le principal moteur de l’emploi en créant deux tiers de l’ensemble des nouveaux emplois, soit 24'000 postes de travail.
Cependant, les multinationales doivent faire face au différend fiscal qui oppose depuis des années Bruxelles à Berne à propos de l’imposition des entreprises et, plus particulièrement, des régimes fiscaux cantonaux. A Genève, le débat porte sur la fixation d’un taux d’imposition unique pour toutes les personnes morales.
Les personnes physiques
Il tombe sous le sens que le dynamisme de l’économie et la création de nombreux emplois attirent une population nombreuse et qualifiée. Selon les statistiques de l’Office fédéral du développement territorial, l’Arc lémanique a connu un taux d’accroissement de sa population particulièrement élevé. A Genève, entre 2008 et 2010, la population résidante permanente est passée de 446'106 à 457'715. On relèvera qu’un certain nombre de ces nouveaux arrivants viennent répondre à la demande des multinationales et de la place financière qui recherchent des profils de plus en plus spécifiques, parfois difficiles à trouver sur place. Ces emplois à haute valeur ajoutée sont bénéfiques pour l’ensemble du tissu économique cantonal, dans la mesure où l’on estime que chacun d’entre eux génère 3,7 postes de travail dans l’économie locale. Par ailleurs, leur contribution aux rentrées fiscales en tant que personnes physiques est considérable.
A cette population active, il faut encore ajouter les personnes imposées d’après la dépense (plus communément appelées bénéficiaires de forfaits fiscaux) qui n’exercent pas d’activité lucrative sur notre territoire. Elles étaient 690 à Genève en 2010. Leur contribution aux recettes cantonales s’élève environ à CHF 90 millions par année, auxquels il faut encore ajouter des droits de successions pour près de CHF 20 millions annuels.
Dans ce contexte, Genève est confrontée à des choix cruciaux pour son avenir économique, ses emplois et sa prospérité. Les sujets ne manquent pas :
- imposition selon la dépense (forfait fiscaux) ;
- convention successorale franco-suisse ;
- impôt fédéral sur les successions
Si la Suisse venait à refuser les accords « Rubik », à introduire par le biais d’une « Weissgeldstrategie » des mesures de diligence fiscale inconnues partout ailleurs, à ratifier la nouvelle Convention successorale franco-suisse et à introduire un impôt fédéral sur les successions, et si Genève venait à rejeter une réforme de sa fiscalité des entreprises et à supprimer les forfaits fiscaux, alors le canton, comme au 15ème siècle, verrait probablement « les marchands et les banquiers » délaisser Genève pour des cieux plus attrayants. Ils entraineraient à leur suite leurs employés, leur savoir-faire et leurs impôts. Dans ces circonstances, Genève ne pourrait plus jouer le rôle de locomotive dans la dynamique de l’Arc lémanique, telle que décrite dans la récente étude des banques cantonales.
Par bonheur, nous n’en sommes pas encore là. Il est temps de réagir et de tout mettre en œuvre pour préserver et développer nos atouts.
Genève, le 9 octobre 2012
1 Cf. « Les raisons de la dynamique économique romande », Banques cantonales romandes et Forum des 100, 23 mai 2012.
2 Cf. « The Global Financial Centres Index », Long Finance, Financial Centre Futures, mars 2012.