Faire face à une éventuelle pandémie …

par Jean-Pierre Therre, Senior Vice President, CSO Group de Pictet & Cie.

'De fait, dans l’analyse d’une perspective épidémique, la vraie question pour une entreprise est de savoir ce qui est critique et ce qui sera nécessaire...'
'Unprepared for a Pandemic', Michael T. Osterholm, April 2007, Foreign Affairs

Dès la fin de l’année 2005, les principaux acteurs de la place financière ont commencé à réagir aux premiers signaux d’alerte émergents, dans la perspective d’une pandémie de grippe aviaire. Alors diffus et imprécis, ces signaux émanaient de l’OMS et de quelques institutions internationales en recherche et surveillance épidémiologique. Les avis exprimés à cette époque par les milieux sanitaires, médicaux et pharmaceutiques ainsi que par les autorités nationales étaient très différenciés, voire contradictoires. Il était dès lors malaisé pour les entreprises de se faire une idée claire et cohérente de la réalité d’une menace pandémique.

Dans ce contexte, plusieurs institutions bancaires et financières genevoises ont pris l’initiative de se concerter et d’anticiper des premières mesures pratiques visant à protéger leurs collaborateurs dans le cadre de travail, d’une part, à sauvegarder les intérêts de la clientèle, d’autre part. Il est intéressant de relever que ces mesures, qui correspondent aujourd’hui aux recommandations en force, ont alors été jugées inadaptées, disproportionnées et parfois même irresponsables car susceptibles de favoriser une panique. …

De fait, il n’est pas étonnant que des institutions bancaires et financières se soient intéressées - avant les autres acteurs économiques - à l’éventualité et aux incidences d’une épidémie massive et internationale. En effet, depuis plus d’une dizaine d’années, sous la pression de la réglementation et du fait de certains événements tels que le passage à l’an 2000 et le 11 septembre, les grandes institutions financières ont renforcé leurs stratégies et se sont dotées de compétences dédiées afin d’assurer en tout temps la continuité des affaires et la gestion de crises (ces pratiques sont souvent référencées sous l’acronyme très professionnel de BCM comme Business Continuity Management).

Une épidémie ou une pandémie constitue un scénario catastrophe exceptionnel auquel doivent correspondre des plans de crise et de communication, assortis de mesures de contingence spécifiques. En effet, lors d’un événement de ce type, les forces vives de l’entreprise - mais également l’ensemble des acteurs politiques, économiques et sociaux - sont impactés de manière simultanée et durable. Par rapport aux scénarii de crise plus traditionnels, les stratégies, les plans et les mesures anticipés s’inscrivent dans un contexte particulier, l’impact des influences externes et des facteurs environnementaux devenant prépondérants.

Les mesures de contingence envisageables et, à terme, la survie opérationnelle de l’entreprise, ne dépendent alors plus seulement des décisions ou des choix internes de l’entreprise mais sont fortement induites, voire éventuellement peuvent être prétéritées, par de nombreux facteurs: indisponibilité durable de tout ou partie des collaborateurs, décisions des autorités, soubresauts systémiques de l’économie et des marchés, réactions irrationnelles de la clientèle, interruption de flux d’approvisionnements ou des prestations critiques (énergie, télécommunications). Dès lors, une bonne anticipation, une bonne dose de transparence et une coordination étroite avec les autorités et les prestataires critiques, s’avèrent essentiels pour tous les partenaires économiques, surtout pour les micros, petites et moyennes entreprises.

Or, il y a tout juste un an, la Confédération a publié son plan de bataille et, depuis lors, des recommandations sanitaires précises et de nombreuses mesures organisationnelles ont été structurées et édictées par les autorités fédérales puis cantonales. Ces recommandations et plans ont été communiqués aux acteurs et partenaires économiques. Plus récemment, soit en mai 2007, l’OFSP a édicté des recommandations précises et adaptées à l’intention de la population et des milieux de la distribution/logistique.

A Genève, la mise sur pied dès la mi-2006 d’un « Etat Major Pandémie Economie » et de plusieurs groupes de travail associés témoigne de la volonté des autorités cantonales (Secrétariat aux Affaires Economiques, Direction Générale de la Santé, Police, Etat Major OSIRIS) et des organisations faîtières professionnelles (FER, UAPG, FGPF, etc.) de répondre à ce besoin de coordination et de transparence. Il faut souligner que les responsables de la Fondation Genève Place Financière ainsi que plusieurs représentants des banques ont activement participé, à l’élaboration de cette plateforme de réflexion et d’information. Toujours très active, cette structure sert aujourd’hui de relais d’information pour tous les différents secteurs économiques (distribution, horlogerie, chimie, banques-finances, PME, etc.).

A l’instar du secteur bancaire et financier, la plupart des grandes entreprises, ont maintenant anticipé et déployé un large spectre de mesures pratiques et pragmatiques d’organisation et de coordination pour être en mesure de faire face à une pandémie. En particulier, on peut observer que des mesures innovantes, notamment des solutions de mobilité visant à favoriser les conditions de travail à domicile, ont été préparées et testées, parfois à grande échelle. Certaines entreprises ont en outre réactivé et testé leur organisation en matière de gestion crise. La plupart de ces grandes entreprises se disent aujourd’hui confiantes car ayant à ce stade déployé leurs meilleurs efforts, elles disposent des solutions les plus cohérentes et les plus adaptées pour face à une situation exceptionnelle.

Pour la plupart des micros, petites et moyennes entreprises (qui constituent la grande majorité du tissu économique), le niveau de préparation reste plus incertain. Cette situation doit être considérée comme délicate compte tenu de l’interdépendance opérationnelle entre de nombreuses entreprises, fournisseurs et prestataires.

Aujourd’hui un certain nombre de questions demeurent encore en suspens et beaucoup d’entreprises sont encore dans l’attente de réponses claires des autorités, s’agissant notamment de la communication et les flux d’information en situation de crise. Ces attentes concernent en outre la nature et les conditions d’orchestration des procédures et mesures de crises susceptibles d’être activées par les autorités.

Pour mémoire, le risque d’un déclenchement d’une épidémie de grippe aviaire ne paraît pas plus important que durant les hivers précédents mais ce risque n’a pas pour autant faibli !

 

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