Fiscalité des sociétés : deux poids, deux mesures entre la Suisse et l’UE

par P.-G. Bieri, Secrétaire patronal, Centre Patronal.

Alors que l’Union européenne exige la suppression des régimes fiscaux privilégiés que les cantons suisses appliquent à certains types de sociétés, une étude montre l’étendue et la diversité des impositions différenciées et particulièrement avantageuses pratiquées en Europe et tolérées par Bruxelles.


Le Code de conduite européen est-il respecté en Europe?

L’Union européenne et certains de ses Etats membres se sont lancés depuis plusieurs années dans une croisade contre divers aspects de la fiscalité helvétique. Principale cible: les régimes fiscaux cantonaux applicables aux sociétés mixtes selon que le bénéfice est réalisé en Suisse ou à l’étranger. Les impositions cantonales différenciées, selon l’UE, porteraient atteinte au principe de libre échange et engendreraient une concurrence fiscale dommageable.

Face à ces reproches, et bien que la Suisse ne soit nullement tenue d’harmoniser sa fiscalité avec celle de l’UE, le Conseil fédéral a néanmoins décidé en 2010 de mener des entretiens exploratoires avec la Commission européenne concernant l’instauration d’un éventuel dialogue sur le «Code de conduite» européen en matière d’imposition des entreprises.

Dans ce contexte, l’Association vaudoise des banques (AVB) a voulu savoir si les Etats membres de l’UE respectaient véritablement ces fameuses règles qu’ils prétendent imposer à la Suisse. L’AVB a donc mandaté la société PwC pour réaliser une étude inventoriant les divers régimes européens de taxation des entreprises – à l’exclusion des subventions et autres aides directes, qui mériteraient une analyse séparée. L’étude en question a été rendue publique le 22 mars et remise officiellement à la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf.


Un foisonnement de régimes fiscaux exceptionnels

Le principal constat est celui de l’extrême diversité des régimes fiscaux dans les trente-sept Etats étudiés, membres de l’UE ou de l’EEE ou encore candidats à une adhésion.

Cela atteste de l’autonomie bienvenue dont jouissent ces Etats dans la détermination de leurs lois et pratiques fiscales – autonomie qui ne saurait donc être contestée à la Suisse.

D’une manière générale, le bénéfice des sociétés est imposé à un taux très bas – inférieur ou égal à 15% – dans une bonne dizaine de pays. Le Portugal envisage de suivre un tel modèle, avec une taxation qui pourrait descendre jusqu’à 10%. On ne parle pas ici du cas particulier des Iles anglo-normandes et de l’Ile de Man qui appliquent un taux zéro. Il faut pourtant se méfier des apparences: les pays qui affichent un taux nominal élevé ont, quant à eux, mis en place certaines règles et pratiques pouvant rendre l’imposition très avantageuse dans certaines situations particulières.

Selon le communiqué accompagnant les résultats de l’étude, l’UE constitue «un vivier d’idées audacieuses en matière fiscale» et ses membres «font montre d’une grande créativité », certaines législations pouvant par ailleurs «s’adapter très rapidement». La plupart des législations nationales analysées appliquent des taux d’impôt sur le bénéfice différenciés selon les régions, selon la forme légale de la société, selon son type d’activité, sa taille, le type de ses revenus ou encore l’importance de son profit.

Plusieurs pays connaissent ainsi une imposition privilégiée des intérêts. Plus fréquemment, ce sont les revenus issus de la propriété intellectuelle qui bénéficient de traitements très avantageux. La notion d’encouragement à l’innovation constitue elle aussi un sésame ouvrant la porte à des pratiques fiscales originales, par exemple le droit de déduire «un multiple de ce qui est dépensé» à ce titre. On notera encore les régimes spécifiques accordés au transport maritime, une dizaine de pays pratiquant une «taxe au tonnage» forfaitaire, indépendante de la valeur de la marchandise.


Une marge de manœuvre retrouvée pour les cantons suisses

En complément, l’étude souligne encore le cas particulier de la Grande-Bretagne, qui mène une politique agressive de démarchage fiscal à l’égard des sociétés établies à l’étranger.

On ne se faisait certes aucune illusion quant à la motivation des attaques lancées contre la Suisse par des Etats financièrement aux abois.

Mais l’intérêt de l’étude publiée par l’Association vaudoise des banques est de présenter des éléments factuels et documentés qui étayent désormais cette conviction et permettent à nos négociateurs de mettre l’UE face à ses contradictions.

Car c’est bien là que se situe l’enjeu: on a regretté jusqu’à présent le manque de combativité des autorités helvétiques, comme si ces dernières avaient été persuadées que leurs pratiques fiscales étaient indéfendables et qu’elles devraient tôt ou tard y renoncer. Or, on peut maintenant affirmer que l’UE s’accommode très bien de la plupart des régimes fiscaux privilégiés de ses propres membres, souvent bien plus complexes que ceux que nous connaissons en Suisse.

Si certains cantons envisagent aujourd’hui de remplacer leurs régimes fiscaux privilégiés par une imposition uniformément basse des sociétés, on ne les en dissuadera assurément pas. Mais ils doivent au moins être conscients que leur marge de manœuvre dans ce domaine est vaste, aussi vaste que celle que l’Union européenne tolère au-delà de nos frontières.

 

Paudex, le 25 avril 2013

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