Frein au déficit :pour passer de l'intention à la réalisation

par Blaise Matthey, Directeur général adjoint de la Fédération des entreprises romandes Genève.

Trois fois la hauteur du Salève ou dix-sept fois celle du Jet d'eau ! C'est ce que représente, en billets de mille francs suisses empilés, le niveau d'endettement du canton de Genève.
Cela ne peut plus durer.


Depuis plus de 15 ans, notre canton enregistre en moyenne chaque année un déficit de 320 millions de francs. Ces pertes cumulées font grimper l'endettement genevois à un sommet vertigineux estimé à plus de 19 milliards par la Confédération (dettes et engagements financiers inclus). Chaque enfant qui voit le jour dans notre canton hérite ainsi à sa naissance d'une dette de quelque 45'000 francs. Les intérêts servis annuellement pour cette dernière, soit environ 370 millions, représentent pour leur part près du double de la subvention accordée à l'Hospice général (200 millions) et deux fois et demi celle versée aux TPG (140 millions).
 

Plus d'un million dépensé chaque jour pour le seul service de la dette

Cette situation catastrophique, qui obère la capacité d'investissement de notre canton autant que l'avenir des générations futures, a conduit des députés de l'Entente à déposer un projet visant à doter Genève de nouvelles règles financières permettant de maîtriser concrètement les dépenses courantes de l'Etat. Cette proposition est constituée de deux volets. Le premier introduit un frein au déficit, qui fixe le principe de l'équilibre budgétaire. Une dérogation est toutefois possible, à la double condition que le déficit prévu soit contenu dans une certaine limite et qu'un plan d'assainissement permette le retour à l'équilibre dans un délai de quatre ans. Ce volet, non contesté par référendum, est entré en vigueur au premier janvier de cette année. C'est sur la seconde partie du projet (qui fait l'objet d'une modification constitutionnelle) que nous serons amenés à nous prononcer le 21 mai prochain. Celle-ci prévoit un mécanisme de sanction au cas où les déficits persisteraient au terme du plan quadriennal. Ce mécanisme constitue l'originalité autant que la force de la loi. En effet, Genève s'est déjà doté ces dernières années de nombreux plans d'assainissement, sans que ceux-ci n'aboutissent malheureusement à l'équilibre souhaité. Avec la loi proposée, le Conseil d'Etat devra donc impérativement passer du stade de l'intention à celui de la réalisation. En effet, si au terme des quatre années imparties, le budget n'a toujours pas retrouvé l'équilibre, le gouvernement devra alors soumettre au verdict du peuple un plan de mesures visant à la réduction des charges, opposé à une augmentation de recettes de niveau équivalent. En clair, si le gouvernement n'a pas réussi à contenir ses dépenses, les Genevois devront alors choisir en ultime recours entre une révision des prestations ou une augmentation d'impôt.
 

Un instrument qui a fait ses preuves

Genève n'est pas le seul canton suisse à avoir traversé des années difficiles, loin s'en faut. Mais il est assurément celui qui connaît le plus de difficulté à retrouver le chemin de l'équilibre. Pour la seconde fois en trois ans, le canton a débuté l'année sans budget, faute d'avoir pu trouver un projet acceptable pour l'ensemble du Parlement. Si nous ne doutons pas de la bonne foi des autorités politiques nouvellement élues à remettre Genève sur les rails, il n'en est pas moins nécessaire de doter notre canton d'un instrument contraignant permettant de contenir les dépenses de l'Etat. Le frein au déficit a déjà fait ses preuves dans de nombreux autres cantons. Après l'avoir introduit dans sa législation, Berne a enregistré en 2005 son 7ème exercice bénéficiaire d'affilée. Fribourg, qui connaît un tel mécanisme, est fréquemment citée comme un exemple de saine gestion financière. Quant au canton de Vaud, qui alignait lui aussi les chiffres rouges année après année, il a bouclé l'exercice 2005 avec un bénéfice - le premier depuis 16 ans - peu de temps après avoir introduit son frein au déficit.

Ce que les autres cantons suisses ont réussi à faire, Genève peut également le réaliser. L'expérience a néanmoins démontré que la seule volonté n'est pas toujours suffisante ; c'est la raison pour laquelle le mécanisme de sanction, conçu comme un instrument d'ultime recours, est indissociable du frein au déficit. Il incombera aux autorités politiques de décider si elles souhaitent prendre par elles-mêmes les mesures qui s'imposent pour assainir les finances de l'Etat, ou si elles se déchargent de cette tâche sur les citoyens. Gageons qu'avec près de 7 milliards de recettes fiscales pour assurer la gestion d'une communauté d'un peu moins de 430'000 habitants, le Conseil d'Etat saura trouver de lui-même des mesures permettant d'améliorer l'efficience de l'Etat, de contenir ses dépenses sans pour autant toucher aux prestations essentielles.




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