Genève n’est pas Detroit mais mieux vaut prévenir que guérir

par Edouard Cuendet, Secrétaire général du Groupement des Banquiers Privés Genevois, Député au Grand Conseil et membre du Comité de l’UIPF.

A peine la faillite de Detroit avait-elle été annoncée que certains acteurs de la vie politique genevoise se sont empressés de tirer d’audacieux parallèles entre la cité étasunienne en déroute et le canton de Genève. Si le point d’ancrage de cette comparaison a été le montant de la dette, Genève bénéficie heureusement d’une économie diversifiée et créatrice d’emplois. La présente newsletter examine les initiatives et textes législatifs qui, en fonction du verdict des urnes, seront susceptibles de nuire à l’attractivité fiscale du canton.

Une situation initiale différente

Le 18 juillet 2013, la déclaration de faillite de la ville américaine de Detroit a sonné comme un coup de tonnerre. Croulant sous une dette supérieure à 18 milliards de dollars, l’ancien porte-drapeau de l’industrie automobile américaine n’est plus capable d’honorer ses dettes. L’administrateur spécial nommé pour tenter de redresser la situation a résumé les causes de ce déclin comme suit : « une mauvaise gestion financière, une population en baisse, une érosion de la base fiscale pendant ces 45 dernières années ».

A peine la faillite de Detroit avait-elle été annoncée que certains acteurs de la vie politique genevoise se sont empressés de tirer d’audacieux parallèles entre la cité étasunienne en déroute et le canton de Genève. Le point d’ancrage de cette comparaison a été le montant de la dette.

Au 31 décembre 2012, la dette financière du canton de Genève atteignait 11,9 milliards de francs. Si on y ajoute les 6 milliards de francs prévus pour l’assainissement de la caisse de retraite de la fonction publique, les engagements réels du canton se montent à plus de 18 milliards de francs, soit près de 40'000 francs par habitant (Cf. « Impôts et dépenses publiques : inquiétudes pour les Genevois », Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève, 24 juin 2013). On voit qu’en la matière, Genève n’a rien à envier à Detroit.

Malgré cet indicateur négatif, il n’en reste pas moins que Genève dispose d’atouts considérables. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le rapport de Standard & Poor’s de janvier 2013 (Cf. « République et canton de Genève : Rapport d’analyse », Standard and Poor’s Financial Services LLC, 15 janvier 2013), dans lequel l’agence de notation évoque en particulier « une économie riche et résiliente ». On pourrait donc se dire que notre canton peut considérer l’avenir avec insouciance. Cela reviendrait à occulter l’un des défis majeurs auxquels est confronté Genève et dans lequel Detroit a échoué : une collectivité publique ne peut se permettre de vivre durablement au-dessus de ses moyens. Pour s’endetter, il est indispensable qu’elle puisse compter en contrepartie sur une base de revenus, et donc de contribuables, au moins stable.

La fiscalité des personnes physiques

Le canton de Genève bat de nombreux records en matière de fiscalité. Les recettes des impôts directs par habitant sont les plus importantes de Suisse. En revanche, près de 30% de la population ne paie aucun impôt. Il en découle que la charge fiscale repose sur un nombre restreint de gros contribuables : 2% de contribuables les plus aisés génèrent 30% des recettes de l’impôt sur le revenu. Au sommet de la pyramide, les 1’813 contribuables (soit 0,7% du total) disposant d’un revenu imposable supérieur à 500'000 francs assurent 19,5% des recettes de l’impôt.

L’avenir du bouclier fiscal

Le Parti socialiste genevois a annoncé qu’il entendait lancer une initiative populaire pour obtenir la suppression du bouclier fiscal, pourtant adopté par la population en 2009. Ce mécanisme limite actuellement l’impôt cantonal et communal à 60% du revenu imposable, auquel il faut toutefois ajouter l’impôt fédéral direct à 11,5%. L’initiative précitée viserait donc à déplafonner le taux d’imposition frappant « les riches ». Ses promoteurs ne semblent pas s’offusquer du fait que des contribuables puissent être contraints de payer un impôt dépassant les 100% de leur revenu.

Pour éviter un tel prélèvement confiscatoire, les personnes concernées choisiront sans doute de partir vers des cieux fiscaux plus cléments. Ils n’auront pas besoin d’aller bien loin, car, en Suisse, le bouclier fiscal n’est pas une spécificité genevoise, mais il existe dans de nombreux cantons, dont ceux de Vaud et du Valais.

Il faut donc espérer que les citoyennes et citoyens genevois percevront les risques liés à cette initiative et que, si elle devait aboutir, ils la rejetteraient massivement.

L’imposition des successions

L’initiative populaire fédérale « Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS  entend imposer, au taux très élevé de 20%, les successions dépassant le montant de 2 millions. Or, les patrimoines dont il est question ici sont souvent le fruit d’une activité professionnelle, soumise à l’impôt sur le revenu. Si elle venait par malheur à être acceptée, elle affecterait fortement Genève, car il ne fait aucun doute qu’elle conduirait au départ massif de contribuables fortunés.

Si le Parlement fédéral devait déclarer cette initiative recevable, il faudra tout mettre en œuvre pour que le peuple suisse marque son opposition face à un texte dangereux pour le fédéralisme et la compétitivité fiscale de notre pays.

L’impact fiscal de l’initiative populaire fédérale « 1 :12 – pour des salaires équitables »

Toujours à l’échelon fédéral, le peuple suisse sera appelé à se prononcer le 24 novembre 2013 sur l’initiative populaire des jeunes socialistes « 1 :12 – pour des salaires équitables ». Ce texte exige qu’au sein d’une même entreprise le salaire le plus élevé ne soit pas supérieur à 12 fois le salaire le plus bas. L’initiative 1 : 12 vise clairement les salaires supérieurs à 500'000 francs. Or, Standard & Poor’s se félicite précisément du niveau élevé des salaires à Genève «  puisque près de 50% des recettes cantonales proviennent de l’impôt sur le revenu ».

Par conséquent, si les salaires élevés sont réduits ou s’ils viennent à ne plus être versés en Suisse suite à la délocalisation des postes correspondants, l’Etat perdra des sommes considérables.

La fiscalité des personnes morales

Sur le front de l’imposition des entreprises, un différend oppose l’Union européenne et Berne depuis des années à propos des régimes fiscaux cantonaux.

En mai 2013, la Confédération a publié un rapport comportant plusieurs propositions destinées à aplanir ce litige (Cf. « Mesures visant à renforcer la compétitivité fiscale de la Suisse - 3e réforme de l’imposition des entreprises », Rapport intermédiaire de l’organe de pilotage à l’attention du Département fédéral des finances, Berne, 7 mai 2013). Il est prévu de supprimer les régimes préférentiels incriminés et de les remplacer par d’autres formes d’imposition tolérées au niveau européen, à l’instar des licence boxes autorisant des taux favorables pour les revenus de brevets ou de marques. Ce système de substitution intéresse avant tout les Bâlois et leur industrie chimique. En revanche, en ce qui concerne plus particulièrement Genève et Vaud, on parle plutôt de la fixation d’un taux unique pour toutes les personnes morales. Le Grand argentier genevois, David Hiler, a été le premier à évoquer un taux de 13%.

Pour Genève, il est tout simplement vital de mener à bien cette réforme. Comme le rappelait le Conseil d’Etat en octobre 2012, « près de 20'000 emplois en équivalents plein temps, plus d’un milliard de francs d’impôts pour le canton et les communes et près de 10% de la valeur ajoutée totale du canton : tels sont les impacts directs sur l’économie genevoise des 945 sociétés au bénéfice d’un statut fiscal et des 136 entreprises qui leur sont liées ».

Conclusion : pour une attractivité fiscale globale du canton

Pour Genève, en tant qu’entité très endettée, la principale leçon à tirer de la déconfiture vécue par Detroit, est l’impérieuse nécessité de conserver sur son territoire une base de contribuables solide. Cette notion d’attractivité fiscale globale est essentielle. En effet, il est illusoire de penser que, sur le long terme, on puisse faire cohabiter un régime fiscal attractif pour les entreprises et défavorable pour les personnes physiques.

 

Genève, le 19 septembre 2013

 

Voir la lettre du Groupement des Banquiers Privés Genevois...

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