L’insécurité juridique : un poison pour la prospérité genevoise
Un cadre juridique stable s’avère indispensable pour attirer et conserver à Genève des contribuables, tant personnes physiques que morales, pourvoyeurs d’investissements et d’emplois.
La place financière genevoise s’inscrit dans un monde globalisé et se trouve confrontée à des concurrentes qui mettent tout en œuvre afin d’acquérir des parts de marchés. Cette compétition acharnée porte sur l’ensemble des conditions-cadres, de la réglementation bancaire au logement, en passant par la capacité à attirer des talents et la mobilité. Un des points de comparaison crucial reste sans conteste la fiscalité des personnes physiques et des personnes morales.
Dans ce domaine, les acteurs économiques doivent pouvoir compter sur un degré de prévisibilité et de sécurité juridique important afin d’assurer aussi bien leur venue que le développement de leurs activités sur notre sol.
Malheureusement, on doit constater qu’à Genève, les sources d’incertitude ont une fâcheuse tendance à se multiplier.
En ce qui concerne les personnes physiques, va-t-on enfin cesser de s’attaquer à l’imposition d’après la dépense, qui rapporte près de CHF 150 millions par année au canton de Genève ? On peut en douter lorsque l’on considère que le peuple genevois sera une nouvelle fois appelé aux urnes à ce propos le 5 juin prochain.
Nouveau référendum
On se souviendra qu’en novembre 2014, le peuple suisse a rejeté l’initiative fédérale visant à supprimer l’imposition d’après la dépense à plus de 59% des voix. A Genève, le score a été encore plus parlant, dans la mesure où l’initiative cantonale visant le même but a été refusée à 68,4%. Le contre-projet a subi un sort semblable, avec un taux de refus de 56,7%.
Ce résultat sans appel aurait pu laisser penser que ce sujet allait disparaître de l’agenda politique, au moins pour un temps. Il n’en a malheureusement rien été.
Contre toute attente, un référendum a été lancé à Genève contre la loi adoptée par le Grand Conseil en octobre 2015 et visant à concrétiser les principes fixés dans la législation fédérale dans le but de rendre plus strictes les conditions d’octroi du forfait fiscal.
Le peuple genevois sera par conséquent appelé à se prononcer le 5 juin 2016 au sujet de ce référendum.
L’insécurité juridique qui en résulte bénéficie aux autres cantons suisses ainsi qu’aux nombreux Etats étrangers qui cherchent à attirer sur leur sol des contribuables aisés grâce à des mesures incitatives largement comparables à l’imposition selon la dépense.
Notre canton aurait tout à perdre en cas d’exode des contribuables au bénéfice d’un forfait. Outre les recettes fiscales qu’elles apportent, ces personnes sont d’importants consommateurs de biens et de services, assurant ainsi la création et le maintien de nombreux emplois dans des domaines tels que la restauration, la construction, ou encore l’immobilier et, bien entendu, la finance. Il faut donc espérer que, le 5 juin 2016, les citoyennes et les citoyens genevois sauront faire preuve de la même sagesse qu’en novembre 2014 et rejetteront massivement le référendum en question.
Maintien d'un cluster unique
En termes d’insécurité juridique, le domaine de la fiscalité des personnes morales n’est pas en reste. Genève parviendra-t-elle à adopter l’indispensable troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) ? Il en va du maintien dans notre canton d’un « cluster » unique au monde. Cet écosystème réunit la place financière, le négoce de matières premières, la surveillance, l’affrètement maritime ainsi qu’un tissu très dense de multinationales. Les maillons de cette chaîne de valeur sont étroitement liés les uns aux autres.
Dans le canton de Vaud, les citoyennes et les citoyens ont accepté à une écrasante majorité (plus de 87 % de votes favorables) le principe d’un taux unique à 13,79%, soutenu par un Conseil d’Etat unanime
A Genève, le Gouvernement n’a pas encore déposé de projet de loi à cet effet, mais il est largement admis que la seule mesure efficace et viable dans la durée réside dans la baisse du taux ordinaire de l’impôt sur le bénéfice. Le Conseil d’Etat prône un taux de 13%. Force est de constater que le front favorable à la réforme s’avère beaucoup moins uni à Genève que dans le canton de Vaud. Mais, suite à l’inéluctable suppression des statuts fiscaux, le canton du bout du lac pourra-il conserver son taux ordinaire actuel de 24% alors que son voisin vaudois appliquerait un taux à 13,79% ? Poser la question s’est y répondre.
Penser aux générations futures
Il en va du maintien sur territoire genevois d’un grand nombre de sociétés qui génèrent des emplois et des recettes fiscales dans des proportions considérables. Selon l’étude de l’Institut Créa de l’Université de Lausanne, publiée en 2015, l’impact économique global pour Genève concerne 61'000 emplois directs et indirects ainsi que 32% de la valeur ajoutée total du canton.
A terme, un taux de 13% devrait s’avérer gagnant pour l’ensemble de l’économie genevoise. Il s’agit ici de penser aux générations futures dans un environnement globalisé très concurrentiel.
Le secteur financier constitue l’un des poumons économiques de notre Canton. Il est temps de nous concentrer pleinement sur l’avenir, dans une quête d’excellence qui a fait de notre place financière l’une des plus compétitives au monde. C’est avec cette sérénité retrouvée que Genève pourra non seulement rester la capitale de la gestion de fortune internationale, mais aussi confirmer sa position de référence dans les activités de négoces en matières premières, qui constituent plus de 20% du PIB cantonal.
Récemment encore, la Suisse s’est vue décerner le titre de pays le plus compétitif au monde par le World Economic Forum (WEF). Ce dernier a toutefois précisé que les milieux politiques doivent s’engager pour éliminer les sources d’incertitudes afin de maintenir notre capacité à innover. A Genève, les incertitudes fiscales constituent un frein à de prometteuses perspectives d’avenir. Il appartiendra à la classe politique et, en dernier ressort, au peuple de délivrer un signal clair en faveur du maintien de notre prospérité.
Opinion publiée dans "Le Temps" - 2 mai 2016