Les Bilatérales II : un défi pour la place financière

par Chantal Bourquin, Responsable de la communication du Groupement des Banquiers Privés Genevois .

Depuis son refus d’adhérer à l’espace économique européen, en 1992, la Suisse a suivi, dans ses relations avec l’Union européenne (UE), une voie dite bilatérale consistant à négocier des accords sectoriels. Cette politique empreinte de réalisme a été plébiscitée à deux reprises. Le 21 mai 2000, le peuple suisse a approuvé par une majorité des deux tiers un premier train d’accords bilatéraux (signés en 1999) qui touchaient l’économie au sens large. Le 4 mars 2001, plus de trois votants sur quatre (et tous les cantons) ont rejeté l’initiative « Oui à l’Europe », qui exigeait l’ouverture rapide de négociations d’adhésion à l’UE. Alors qu’un second cycle de négociations bilatérales vient de s’achever, la question européenne se retrouve au centre du débat politique, d’autant que l’élargissement de l’UE a lui aussi des conséquences pour la Suisse. Un point de la situation permet de constater qu’il a été tenu compte des intérêts de la place financière et des clients des banques suisses.

Les premiers accords bilatéraux ont permis de régler la plupart des problèmes économiques découlant du rejet de l’EEE. Mais d’autres questions se posaient, liées à l’absence d’accord sur les produits agricoles transformés, aux handicaps fiscaux sur le territoire de l’UE pour les multinationales basées en Suisse, ainsi qu’aux exigences accrues en matière de sécurité et d’asile. Il était donc clair que de nouvelles négociations bilatérales devaient tôt ou tard être engagées avec Bruxelles. Pour la Commission européenne, deux dossiers demandaient une solution urgente : la fiscalité de l’épargne et la lutte contre la fraude douanière.

Les négociations ont commencé en juillet 2001 et ont porté sur 10 dossiers, dont 5 ont une réelle importance économique et politique : la fiscalité de l’épargne, les échanges de service, la fraude, Schengen/Dublin, les produits agricoles transformés. Le 25 juin 2004, neuf dossiers ont été conclus dont trois intéressent particulièrement la place financière (la négociation sur la libéralisation des échanges de services a été « décrochée du train » des Bilatérales II en mars 2003) :

  • L’accord sur la fiscalité de l’épargne touche directement les banques et leurs clients. Il vise à assurer une imposition effective des revenus de l’épargne perçus sous forme d’intérêts par les personnes physiques résidentes de l’UE. La Suisse n’appliquera pas l’échange automatique d’informations souhaité par Bruxelles mais un système fondé sur une retenue d’impôt de 15% les trois premières années dès le 1er juillet 2005, de 20% les trois années suivantes et de 35% au-delà.
  • L’accord sur la fraude a pour but de lutter plus efficacement contre la criminalité à grande échelle, en particulier le trafic illicite de cigarettes et les détournements de subvention au sein de l’UE.

Dans le cadre des Bilatérales I, les parties étaient convenues d’une clause « guillotine », signifiant que si un seul des accords devait être dénoncé tous deviendraient caducs. Le Conseil fédéral a jugé que cette méthode ne serait pas appropriée pour la procédure de ratification des Bilatérales II.

D’un point de vue constitutionnel, d’ailleurs, aucun de ces accords n’exige la tenue d’un référendum obligatoire. Le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation qui s’achèvera en septembre 2004. Les Chambres devront ensuite se prononcer en décembre 2004 et le délai référendaire s’étendra jusqu’en mars 2005. Il est trop tôt pour prédire à coup sûr ce qui se passera. Mais on sait déjà que l’accord sur Schengen sera combattu par divers groupes et partis politiques au motif qu’il s’agirait d’un accord d’intégration qui pourrait menacer l’indépendance de la Suisse.

Avant de conclure, il faut rappeler que les Bilatérales II ne sont pas le seul sujet d’actualité concernant l’Europe. En effet, le récent élargissement de l’UE signifie pour les relations contractuelles bilatérales que tous les accords déjà en vigueur seront étendus aux dix nouveaux États membres.[I

L’application élargie de ces traités est en principe automatique. Mais, pour l’accord sur la libre circulation des personnes issu des Bilatérales I, des adaptations sont requises. Elles devront être ratifiées par le Parlement et pourraient de ce fait être contestées par voie de référendum.

La question de l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes aux nouveaux États membres de l’UE ne concerne pas spécifiquement la place financière, mais il est évident qu’elle aussi serait affectée par un éventuel refus qui remettrait en cause l’ensemble des accords bilatéraux de 1999 et aurait de ce fait des conséquences extrêmement dommageables pour le pays.

Du point de vue de la place financière, on peut tirer de ce qui précède les conclusions suivantes :

  • Les accords bilatéraux II entraîneront des droits et des devoirs pour les deux parties, mais les résultats obtenus peuvent être qualifiés d’équilibrés.
  • A propos de la fiscalité de l’épargne, une solution pragmatique et durable a été trouvée, qui assure une imposition effective sans remettre en cause la confidentialité à laquelle les clients des banques suisses ont toujours eu droit et à laquelle ils tiennent.
  • S’agissant du secret bancaire, les accords n’apporteront aucun changement notable du point de vue du droit interne, mais la collaboration accrue avec l’UE suscitera une évolution pour ce qui est de la fiscalité indirecte. Ceci n’affectera pas les clients traditionnels des banques suisses mais permettra aux autorités de mieux lutter contre certains types d’activités criminelles.
  • Il n’est pas du ressort des milieux financiers d’évaluer les effets des accords de Schengen et Dublin pour la sécurité du pays ou en matière d’asile. Mais la clause d’"opt-out" obtenue par la Suisse dans le cadre de Schengen facilitera la défense du secret bancaire en cas d’acceptation de cet accord par le peuple.
  • En choisissant la voie bilatérale, la Suisse a renoncé à reprendre systématiquement l’évolution du droit communautaire. Pour ne pas rester lettre morte, cette bonne intention devra être étayée par des mesures d’accompagnement appropriées dans la législation interne. Il en va de la pérennité du secret bancaire.

 
 
Chantal Bourquin
responsable de la communication

Groupement des Banquiers Privés Genevois
 


[I] Les accords en question sont : le traité de libre-échange de 1972, l’accord sur les assurances de 1989 et les sept accords bilatéraux de 1999.

 

Newsletter

copyright

© UIPF - Union des intérêts de la place financière lémanique