Les sociétés en commandite de placements collectifs : une formidable opportunité pour la Suisse

par Ivan Pictet, Président de la Genève Place Financière.

Les Chambres fédérales viennent d’accepter – le 23 juin – la nouvelle loi fédérale sur les placements collectifs et, surtout, l’introduction de la Société en commandite de placements collectifs, sur le modèle des Limited Liability Partnerships anglo-saxons.

L’enjeu est fondamental pour l’avenir de notre place financière. Car les deux trends majeurs de la gestion de fortune sont le développement des hedge funds et du private equity.

Le grand public, lui, n’a vraiment découvert ces deux approches de l’investissement qu’après les chocs boursiers nés de la "bulle" Internet de l’an 2000. Mais les investisseurs institutionnels et les clients sophistiqués, eux, ont déjà commencé à miser sur le private equity dans les années 80, puis ils ont aussi opté pour la gestion alternative dès le début des années 90.

Aujourd’hui, les montants investis par les fonds de capital-risque et de private equity sont estimés à quelque 2'500 milliards de dollars.

Pour leur part, stimulés par le marasme boursier du début des années 2000, les hedge funds connaissent un boom formidable. Au plan mondial, ils auraient dépassé les 1'200 à 1'500 milliards de dollars sous gestion.

Les hedge funds, avec leur stratégie de rendement absolu, sont une classe d’actifs désormais fermement établie. A condition de sélectionner des gérants rigoureux, ayant une stratégie claire et des compétences confirmées.

Certaines banques suisses ont été des pionnières dans la sélection des hedge funds. La part de leurs portefeuilles gérée par le biais de hedge funds peut varier considérablement, mais elle semble s’établir à un minimum de 10%.

Aujourd’hui, selon une estimation de la Commission Fédérale des Banques, les banques suisses, globalement, gèrent plus de 300 milliards de francs via des hedge funds ou des fonds de hedge funds.

Mais – tout le problème est là – sur ces 300 milliards de francs, seuls 5 milliards sont gérés par des fonds établis en Suisse.

De même, la communauté bancaire a développé des efforts considérables pour former des spécialistes bancaires et financiers de très haut niveau. Mais, ils quittent l’un après l’autre notre pays, pour aller s’installer à Londres. Nous avons des talents formidables, mais nous ne pouvons malheureusement pas leur offrir les défis et perspectives professionnelles auxquels ils aspirent.

Pourquoi ? Pour une raison très simple : jusqu’ici, notre cadre juridique et fiscal était foncièrement dépassé et inadapté, obligeant les banques suisses à créer leurs fonds ou fonds de fonds sur d’autres places financières, beaucoup plus souples et compétitives. A savoir – s’agissant de fonds européens – Londres pour la gestion et Jersey ou l’île de Man pour l’administration.

La nouvelle loi fédérale sur les placements collectifs corrige les handicaps juridiques et une partie des problèmes fiscaux dont la place financière suisse souffrait. Mais il s’agit d’une loi cadre, dont les dispositions d’exécution sont déléguées au Conseil fédéral et à l’Autorité de surveillance, la Commission Fédérale des Banques.

Cette ordonnance d’application, mise au point en un temps record, il faut le souligner, sera mise en consultation le 9 juillet.

Or, nous savons que la Commission Fédérale des Banques, tout comme la Banque Nationale Suisse, sont déterminées à rendre toute sa compétitivité à la place financière suisse. Mais nous avons quelques craintes face au manque de compréhension des enjeux que pourrait manifester l’administration fiscale fédérale…

Le cœur du problème, c’est la participation du management des fonds aux gains en capital ("carried interest").

Or, c’est toujours le management des fonds qui décide de l’implantation de leur siège social. L’adaptation de notre fiscalité est donc une exigence essentielle.

Pour prévenir toute critique sur ”les cadeaux aux riches”, il faut préciser d’emblée qu’il ne s’agit pas d’exonérer les gains en capital du management des hedge funds ou des fonds de capital-risque et de private equity. Il s’agit simplement de les taxer à des conditions compétitives par rapport aux places financières concurrentes (et non comme des revenus).

Les gains en capital du management des fonds sont actuellement taxés à 15% aux USA et à 12% à Londres. La Suisse pourrait donc considérer un taux de l’ordre de 10%.

La Suisse a ainsi une chance unique à saisir. Or, tout le monde connaît l’importance vitale de notre place financière pour la Suisse et l’ensemble de sa population. En effet, la communauté bancaire, au sens large, assure :
• 14,5% de notre produit intérieur brut national
• 25 à 30 % des recettes fiscales de cantons comme Genève et Zurich
• plus de 20% des recettes fiscales de la Confédération.

Pour leur part, nos banques enregistrent succès sur succès, leurs résultats le démontrent. Mais nos Autorités, elles, ont commis beaucoup d’erreurs fiscales, qui se sont révélées coûteuses et néfastes pour notre pays…

Pour mémoire, Londres est aujourd’hui la capitale des transactions sur les métaux précieux (95% du marché mondial). Mais cela n’a pas toujours été le cas : dans les années 80, le marché de l’or de Zurich avait supplanté celui de Londres. Mais, en décidant de taxer les transactions sur l’or, nos Autorités ont malheureusement obligé nos banques à déplacer ces échanges à Londres.

De même, c’est à Zurich qu’a été créé l’euromarché, mais une politique fiscale inconsidérée l’a chassé à… Londres, pour qui il est devenu un puissant moteur de croissance.

Sans oublier notre législation sur les fonds de placements, longtemps si lente et coûteuse que la plupart des fonds suisses sont enregistrés au Luxembourg, avec des gestionnaires basés à… Londres, où ils contribuent fortement au volume des échanges boursiers.

Londres doit ainsi une large part de sa réussite aux erreurs de nos Autorités. Pourquoi le rappeler ? Non par regret, mais pour essayer d’éviter de nouvelles erreurs aussi coûteuses. Car ces déplacements d’activités vers Londres, combien représentent-ils d’emplois perdus en Suisse ? Et ces emplois perdus, combien de recettes fiscales et de cotisations sociales auraient-ils pu rapporter ?


Aujourd’hui, en l’absence de hedge funds ou fonds de capital-risque et de private equity, cette industrie toujours plus importante, à laquelle les banques suisses participent activement, ne rapporte pas un centime à la Confédération et aux cantons.

Une fiscalité plus dynamique et incitative ne coûterait donc rien à la communauté. Par contre, elle pourrait rapporter gros. Nous espérons donc que le Conseil fédéral et, surtout, son administration fiscale le comprendront.

D’autant que cet enjeu ne concerne pas la seule place financière. C’est l’ensemble de la population suisse qui en profiterait :

• Au plan des recettes fiscales et des cotisations sociales, d’abord. Car les fonds engagent des spécialistes de haute qualification, assurés de hauts salaires (taxés normalement).
• Mais aussi en terme de dynamique économique et d’emploi. Car ces fonds n’engagent pas que des spécialistes.
De plus, ces fonds font travailler toutes sortes d’autres métiers : avocats, fiduciaires, sociétés d’informatiques, mais aussi électriciens ou restaurateurs.
• Enfin, nous pourrions mettre fin au ”brain drain” et ”récupérer” une bonne part de nos spécialistes et talents de haut niveau exilés à Londres.

Cela serait le meilleur moyen d’assurer, à long terme, l’avenir de notre place financière et sa capacité d’innovation.

Pour la Suisse, qui sort d’une longue période de stagnation et de croissance-zéro, il y a là une opportunité formidable. Mais il faut maintenant que nos Autorités sachent la saisir.

D’autant que les spécialistes des hedge funds, du venture capital et du private equity basés à Londres sont actuellement assez déstabilisés par certaines déclarations de Gordon Brown, ministre britannique des finances, qui a évoqué des taxes sur ce type d’activités.

Le timing est donc idéal pour la Suisse. A condition que nos Autorités fédérales fassent vite…

 

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