Libre-circulation : des tirs croisés sur une cible fantôme

par Blaise Matthey, Directeur général de la Fédération des Entreprises Romandes Genève (FER Genève).

En situation de récession économique, la libre-circulation des travailleurs avec l’Union européenne est le bouc-émissaire tout désigné pour expliquer la crise. Les feux croisés de la droite nationaliste et des syndicats donnent pourtant le sentiment de relever plus de l’arrosage à la mitraillette que du tir de fines gâchettes. Pour l’UDC, la libre-circulation peut être remise en question sans aucun danger pour les autres accords bilatéraux : c’est évidemment faux. L’Union européenne a déjà fait savoir qu’elle n’entendait plus privilégier la voie bilatérale. Elle risque bien de saisir cette chance si la Suisse la lui offre. Cela relancerait la discussion sur l’adhésion, à laquelle la majorité du peuple suisse est probablement toujours opposée.

L’isolement ne résoudrait rien en termes d’emploi. La Suisse a bénéficié d’1% de croissance durable depuis l’entrée en vigueur des Accords bilatéraux et a créé plus de 270'000 emplois en cinq ans. Plusieurs branches se plaignent encore de ne pas trouver le personnel qualifié dont elles ont besoin. Et que deviendraient la santé, le bâtiment et la restauration sans l’apport indispensable de personnel européen ?

L’équation « un permis de moins égale un chômeur de moins », que l’on fait miroiter comme un remède, est fausse parce que l’on ne remplace pas automatiquement une personne par une autre. L’application de la clause de sauvegarde visant à réintroduire les contingents durant une durée limitée ne résoudrait pas davantage le problème du chômage.

Certes, le reflux des ressortissants européens est moins important qu’escompté du fait de la situation dans les pays qui nous entourent. Mais il a tout de même lieu.

Reste bien entendu la question des salaires qui agite beaucoup les syndicats. L’Union syndicale suisse (USS) vient de crier à nouveau au dumping en avançant des chiffres invérifiables puisqu’ils émanent de ses propres études. La réalité décrite par les organismes tripartites qui encadrent le marché du travail est différente. A Genève, dans 95% des cas, aucun problème ne se pose, et dans les 5% restants, il y a des lacunes qui ne signifient pas pour autant qu’on soit en présence de dumping. Plus intéressant encore : une étude de la Haute Ecole de Gestion a démontré que l’accroissement du nombre de frontaliers n’avait pas eu pour conséquence une baisse des salaires, mais plutôt leur relèvement. C’est la conséquence d’une présence accrue de travailleurs européens qualifiés qui bénéficie à l’ensemble de l’économie.

Le parti Libéral-Radical a récemment livré une analyse de la libre-circulation qui confirme ce que nous avions écrit en juin 2009 sur le sujet. Pas d’abus dans la sécurité sociale, pas de problèmes majeurs d’intégration, pas de baisse des salaires et pas d’augmentation de la criminalité.

A l’heure où la démographie et les compétences professionnelles sont deux enjeux majeurs du maintien de notre compétitivité, la libre-circulation des travailleurs est un atout pour notre pays, pas un danger.

 

Genève, le 22 février 2010

 

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