Trouver le juste équilibre entre le principe d’équité fiscale et la nécessité de retenir les bons contribuables n’est pas un exercice facile. Encore faut-il qu’on soit convaincu – tant au sein de l’Etat que dans la population – de l’importance de cet enjeu.
Les riches sont plus mobiles
Il est beaucoup question, en ce début d’année, de célébrités fortunées qui s’expatrient dans des pays «où l’on méprise moins ceux qui réussissent». Face à ces coups d’éclat, certains disent comprendre et approuver, tandis que d’autres dénoncent un scandaleux manque de solidarité. Ce sujet nous inspire quelques remarques d’ordre général.
On devrait tout d’abord remarquer qu’il y a une différence entre un effort louable de solidarité au sein d’une communauté, d’une part, et, d’autre part, le matraquage fiscal infligé à quelques catégories sociales encore taillables et corvéables – par ailleurs vilipendées à longueur d’année – dans l’espoir de donner l’illusion, jusqu’à la prochaine échéance électorale, que le tonneau percé des finances publiques ne se vide pas et que chacun peut continuer à puiser dedans. Le contribuable qui verse des impôts à l’Etat, quelle que soit sa condition sociale, doit avoir l’impression que cet argent est, au moins en partie, employé utilement pour améliorer le fonctionnement de la société et le sort de ses concitoyens; à défaut, l’expression «effort de solidarité» apparaît comme une supercherie.
Ensuite, même si les cas qui ont défrayé la chronique sont extrêmes, peu nombreux et potentiellement liés à des querelles partisanes entre une majorité politique et son opposition, cela ne change rien au fait qu’ils illustrent une réalité têtue: les riches n’ont pas seulement plus d’argent que les autres, ils sont aussi plus mobiles; si on veut les retenir autrement que par des murs et des miradors, il faut leur donner envie de rester, ou du moins ne pas leur donner envie de partir.
Jusqu’où aller pour garder les bons contribuables?
On peut toujours disserter sur la juste proportion de ce que l’Etat doit prélever auprès des contribuables aisés. Mais ceux qui ont la possibilité de partir décident en quelque sorte eux-mêmes de la charge fiscale qu’ils acceptent de payer et au-delà de laquelle ils préfèrent s’en aller! On a le choix de juger ce privilège injuste et de refuser toute forme de fiscalité «sur mesure» au nom du principe d’égalité… ou de l’accepter jusqu’à un certain point pour garder un maximum de contribuables intéressants. Car les impôts payés par ces derniers, même si on les considère proportionnellement trop bas, rapportent tout de même davantage d’argent que si les intéressés s’en vont.
Parler de «choix» n’est pas une simple formule de rhétorique: un pays globalement prospère et où la classe moyenne se porte bien peut plus facilement se permettre de prendre le risque de perdre quelques riches résidents trop exigeants – ce qui ne signifie pas que cela soit toujours opportun. En d’autres termes, un Etat correctement géré et dont les finances sont saines dispose d’une marge de manœuvre lui permettant d’être plus rigoureux sur les principes qu’il entend défendre, tout en confrontant cependant ces derniers à une analyse objective des enjeux économiques en présence. C’est là un argument social en faveur de la rigueur budgétaire! Parallèlement, le souci permanent de garder les bons contribuables reste le meilleur moyen de conserver des finances publiques saines, et donc de mener des politiques sociales plus généreuses.
Les riches ne paient pas que des impôts
Plus largement, on devrait songer que les prélèvements fiscaux ne constituent pas la seule façon de «profiter» de la présence de citoyens aisés. Il est absurde de croire que l’argent que l’Etat ne leur a pas pris est «perdu» pour la société: les riches dépensent de l’argent là où ils vivent, que ce soit en biens immobiliers, en voitures et autres objets de luxe, en voyages ou en autres loisirs. Combien de gens plus modestes gagnent-ils leur vie en vendant ces prestations? Il y a là une forme de redistribution très importante, même si elle n’est pas contrôlée par l’Etat.
Dans le même ordre d’idées, il faut rappeler que la manière d’aborder ces questions ne dépend pas uniquement des pouvoirs publics. L’état d’esprit général de la population – qui suit assez souvent celui de la presse et des médias – joue aussi un rôle. Lorsqu’on se sent la cible non seulement des inspecteurs du fisc mais aussi de tout un discours populaire s’adonnant aux amalgames encouragés par le politiquement correct – «les riches», «les patrons», etc. –, on est volontiers enclin à aller voir ailleurs. En outre, une telle attitude crée une ambiance décourageant l’esprit d’entreprise, poussant plutôt à une forme de dépendance vis-à-vis de la société. On passe d’un extrême condamnable – l’exaltation de la seule richesse et le mépris des gens modestes – à l’excès opposé, tout aussi pernicieux.
La Suisse n’a heureusement pas sombré dans tous ces travers. Mais le maintien de nos avantages dépend d’un équilibre subtil et toujours instable. Les célébrités qui ont fait la une de la presse ces dernières semaines n’ont-elles pas prouvé que le prétendu paradis fiscal helvétique est soumis à une rude concurrence?
Paudex, le 8 janvier 2013
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