L’erreur est humaine

par Edouard Cuendet, Premier Secrétaire du Groupement des Banquiers Privés Genevois, Député au Grand Conseil.

Un récent article de la NZZ nous rappelle qu’il y a bientôt cinq ans, le Professeur Beat Bernet de l’Université de Saint-Gall annonçait la disparition de 40'000 à 60'000 emplois dans le secteur financier helvétique jusqu’en 2010. A l’époque, les médias avaient largement repris ces prévisions pessimistes et certains évoquaient même des scénarios "qui ont entre 80 et 90% de chance de se réaliser". Pour le Prof. Bernet, le bassin zurichois devait être le plus touché, puisque 20'000 à 30'000 emplois étaient sensés passer à la trappe.

Une enquête d’Accenture publiée en 2004 allait dans le même sens puisqu’elle pronostiquait que les salaires bancaires allaient diminuer pour se rapprocher de ceux pratiqués dans l’industrie et que, par-dessus le marché, près de 22'000 emplois allaient disparaître d’ici 2010.
Or, comme le souligne le grand quotidien zurichois, la réalité des chiffres est toute autre. Depuis trois ans, le nombre de collaborateurs du secteur bancaire augmente. Selon les données de la BNS, la Suisse a compté 8'500 employés de banque supplémentaires en 2006, ce qui représente une augmentation d’environ 7% par rapport à l’année précédente. Sur ces 8’500 postes, au moins 3'000 ont été créés dans la place financière zurichoise qui compte désormais plus de 50'000 emplois bancaires. A cela s’ajoute qu’avec une contribution oscillant entre CHF 10 et 15 milliards, les banques, leurs employés et leurs actionnaires constituent les plus gros contribuables du pays, avec une part supérieure à 10% de toutes les recettes fiscales de la Confédération, des cantons et des communes. Cette proportion s’avère encore plus importante pour la ville et le canton de Zurich puisque l’on parle de 25 à 30%.

A Genève, les statistiques concluent à des résultats similaires. L’emploi dans les banques genevoises augmente de manière soutenue, si bien que l’on dénombrait plus de 18'000 collaborateurs fin 2006 contre 16'300 en janvier 2005. Selon la dernière enquête conjoncturelle de la Fondation Genève Place Financière (publiée le 16 octobre 2006), les diverses catégories d’établissements bancaires présents à Genève ont vu leurs effectifs progresser de 12,5% à 15,5% durant les deux dernières années. Les banques comptant plus de 50 collaborateurs ont enregistré la plus forte hausse du nombre de postes. Bien entendu, cette croissance a un impact positif sur le chômage. En effet, fin juillet 2007, Genève ne comptait plus que 499 chômeurs issus du domaine financier, soit 3,8% du total des chômeurs. Par rapport à 2006, ce chiffre a diminué de 21,7 %. Ces données encourageantes ne doivent pas nous faire oublier que la demande porte surtout sur un personnel hautement qualifié et peine à être pleinement satisfaite par le marché local. L’industrie financière genevoise bénéficie donc grandement de la libre circulation des personnes qui lui permet de recruter hors des frontières suisses les talents qui font malheureusement parfois défaut sur place. Cette pénurie préoccupante doit d’ailleurs conduire Genève et la Suisse à mener une stratégie offensive en termes de formation. L’Association suisse des banquiers a ouvert la marche en créant le Swiss Finance Institute (SFI), en collaboration avec la Confédération et certaines universités suisses. L’objectif de cette nouvelle institution est de doter la Suisse d’une formation et d’une recherche de pointe en matière bancaire et financière, devant ainsi permettre d’atteindre un niveau d’excellence comparable à celui qui existe dans le monde anglo-saxon.

Comme à Zurich, l’impact fiscal de la place financière est également déterminant à Genève. Selon les dernières données disponibles, ce secteur économique contribue à hauteur de 29,8% à l’impôt cantonal de base sur le bénéfice et de 38,2% à l’impôt de base sur le capital, étant précisé que ces chiffres n’incluent pas les impôts payés par les entreprises en raison individuelle, les sociétés en nom collectif et les sociétés simples. En Ville de Genève, cette même place financière assurait en 2006 65,4% des rentrées fiscales générées par la taxe professionnelle communale.

En conclusion du présent article, il serait présomptueux de jeter la pierre au Prof. Bernet, l’erreur est humaine, mais il faut essayer de comprendre pourquoi il s’est pareillement trompé dans ses prévisions. La réponse a été apportée par M. Bernet lui-même puisqu’il a précisé qu’il avait tablé sur une augmentation des taux d’intérêts, une faible hausse boursière et une stagnation de la conjoncture. Il faut se réjouir du fait que les trois hypothèses retenues se soient avérées dans les faits, totalement infondées, du moins jusqu’à présent. Les soubresauts que subissent actuellement les marchés boursiers suite à la crise des subprime devraient en tous cas nous inviter à la prudence et à nous abstenir de tout sarcasme à l’encontre de la recherche universitaire.
Il n’en reste pas moins que les banques, contrairement aux prévisions des experts, se sont révélées êtres de grandes créatrices d’emplois en Suisse et ceci malgré la tendance à externaliser de nombreuses activités.

Août 2007
 

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