Panel on Wealth Management in Japan

par Jean Zwahlen, Senior Advisor for Asia à l'Union Bancaire Privée; Ancien Ambassadeur et ancien Membre du Directoire de la Banque Nationale Suisse.

Comment se fait-il que la Suisse, qui compte moins de 8 millions d’habitants, soit devenue un hub bancaire presque aussi incontournable que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et qu’elle détienne – avec près de 30% – la part la plus importante du marché transfrontalier de la gestion de fortune privée ?

A mon avis, cette success story est largement attribuable aux flux migratoires qui jalonnent l’histoire de mon pays.

Tout d’abord, à cause de la pauvreté en matières premières, mes compatriotes ont été contraints d’émigrer pour gagner leur vie. Ils ont ainsi acquis une vaste connaissance du monde et se sont habitués à des us et coutumes différents des leurs.

D’autre part, la Suisse, politiquement stable, a accueilli tout au long de son histoire des réfugiés fuyant leur pays pour des raisons politiques, religieuses ou économiques. Ces émigrants nous ont aussi familiarisés à gérer des situations, des besoins et des mentalités exogènes.

Las banques suisses se sont nourries et ont bénéficié de ces apports migratoires. Elles se sont de la sorte très vite internationalisées, intégrant dans leurs politiques de gestion et planification patrimoniale les contraintes législatives, fiscales, successorales de leur clientèle multinationale. Par ailleurs, elles ont crée des réseaux mondiaux très denses et sont devenues tout naturellement des institutions plurilingues et pluriculturelles.

Elles ont été aidées dans leur développement international par ce que l’on appelle en Suisse des "conditions-cadres" favorables :
 

  • stabilité politique due à notre système fédéraliste qui prévient tout changement brusque
  • stabilité macroéconomique
  • stabilité monétaire
  • sécurité juridique
  • fiscalité transparente, prévisible et non confiscatoire
  • situation géographique attractive
  • main d’œuvre qualifiée et motivée
  • respect de la confidentialité qui est une notion beaucoup plus large que le secret bancaire. J’en vois la preuve dans le fait que beaucoup de clients originaires de régions qui n’ont pour ainsi dire pas d’impôts souhaitent être discrets pour des raisons politiques, idéologiques voire de sécurité personnelle (kidnapping).

Avec de tels atouts et une telle réussite, je ne m’étonne guère de la jalousie de nos concurrents. Cependant, depuis l’éclatement de la crise que nous traversons, cette jalousie a pris des proportions inacceptables. C’est ainsi que, sous couvert de patriotisme économique et d’autres vocables similaires, on en arrive à élever des barrières protectionnistes et enclencher des guerres économiques.

Soyons attentifs à ces développements car alors, au lieu de réaménager la globalisation pour l’avenir d’un monde meilleur – ce que je souhaite -, nous risquons de provoquer une déglobalisation qui nous appauvrirait tous. Donc, au lieu de s’entre-déchirer, nous ferions mieux de nous attacher à recréer le climat de confiance sans lequel l’économie mondiale démarrera mal.

En dépit de la crise, le système bancaire suisse reste très solide. Sur les 330 banques qui sont en Suisse, 329 ont traversé la crise sans difficulté. De la sorte, nos banques n’ont pas dû recourir à des aides gouvernementales, UBS exceptée. D’ailleurs, soit dit en passant, le problème de cette banque a été réglé de façon exemplaire et avec rapidité par nos Autorités et la BNS, de telle manière que ce modèle a été pris en exemple par d’autres pays.

Au total, l’engagement public de la Suisse, au titre d’aide aux banques ne s’est élevé qu’à 8% du PIB, contre 22% au Japon et en Allemagne, 81% aux Etats-Unis et même 82% au Royaume Uni.

Certes, il nous reste à régler les problèmes découlant de l’intégration des principes de l’OCDE sur l’échange d’informations dans les accords de double imposition que nous avons renégociés. Cette étape franchie, je ne doute pas que le système bancaire suisse saura rebondir rapidement grâce à ses atouts.

Cependant, pour réussir ce pari, il nous faudra veiller à ce que les nouvelles règles internationales que les gouvernements sont en train de mettre en place dans le domaine financier (supervision, normes comptables, gestion du risque, fonds propres, etc.) soient transparentes et garantissent à toutes les places financières égalités de traitement et d’application, soit en clair des conditions de concurrence égales pour tous.

Je terminerai ces quelques mots d’introduction par un survol de 3 spécificités qualitatives des banques suisses, spécificités qui les distinguent souvent de leurs concurrentes étrangères :

1) Quand nous parlons de Wealth Management et de Private Banking, il faut savoir que ces termes ne signifient pas tout à fait la même chose en Suisse que dans les pays anglo-saxons.

Alors que les Anglo-Saxons considèrent le Wealth Management comme du "transaction-driven brokerage", nos banques offrent, en sus, toute une palette de services financiers et non financiers, soit des services que les Anglo-Saxons dénomment "concierge-type services". Cela suppose que le gérant suisse commence par établir avec son client une relation dans la durée qui instaure un climat de confiance propice à lui offrir des conseils et des services dans des domaines très différenciés : advice estate planning, multigenerational planning services, tax advisory expertise, private schools, medical clinics, holiday planning, etc.

Je pense que c’est à cause de ce climat de confiance et d’offres de services qu’un nombre substantiel d’avoirs, qui étaient rentrés dans les pays d’origine de clients suite à des amnisties fiscales, sont, in fine, revenus en Suisse.

2) Grâce à leur caractère international, les banques suisses sont enfin à même d’offrir à leur clientèle multinationale des produits financiers "cousus main", c’est-à-dire adaptés à ses besoins spécifiques et dans la monnaie de son choix. Cette spécialité suisse s’explique par la robustesse du franc suisse, assortie de taux d’intérêts historiquement bas.

De ce fait, nos banques ont dû aller chercher sur les marchés étrangers des produits plus rémunérateurs. Cette quête leur a permis de se familiariser avec ces marchés tandis que leurs concurrentes étrangères ont pu longtemps se contenter de placer les fonds de leurs clients en Bons du Trésor ou autres produits nationaux assortis d’intérêts élevés.

 

3) Une autre spécificité qui nous distingue de l’étranger est qu’il existe en Suisse une synergie entre avocats, fiduciaires et conseillers patrimoniaux, grâce à laquelle il est possible de ficeler rapidement des montages patrimoniaux complexes dans toutes les monnaies et sur les marchés les plus exotiques.

 

 

Genève, le 24 novembre 2010

 

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