Le G20 ou quand les gros se ménagent et s’en prennent aux petits
Ce que l’on pouvait prévoir est arrivé : le G20 a soigné ses effets d’annonce et s’est concentré sur des décisions pas trop difficiles à prendre, notamment celles concernant des acteurs absents du sommet de Londres. Vu de Suisse, ceci appelle quelques commentaires.
La première remarque concerne l’établissement de trois listes – une blanche, une grise et une noire – relatives à la coopération en matière fiscale. La Suisse fait partie des 8 "centres financiers" qui figurent sur la liste grise, au même titre que l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg et Singapour. On retrouve aussi sur cette liste 36 "paradis fiscaux", tels que les Iles Caïman, le Liechtenstein ou Monaco.
La grande surprise concerne 3 territoires dépendants de la couronne britannique (Guernesey, Jersey, île de Man), qui figurent sur la liste blanche. Cette liste énumère aussi toute une série de juridictions qui ne doivent assurément pas à l’excellence de leurs standards d’identification de la clientèle des banques l’honneur de recevoir ce certificat de bonne conduite. Sans s’arrêter à certains pays de moindre importance et à la réputation parfois sulfureuse, on observe que les Etats-Unis figurent aussi sur cette liste. Les pratiques opaques (et critiquées par le GAFI) de certains Etats fédérés (Delaware, Nevada, Wyoming) n’ont à l’évidence pas dérangé les censeurs. La question qui se pose ici est la suivante : lorsque l’on n’est pas mesure d’identifier l’ayant droit d’un compte, comment s’y prend-on concrètement pour échanger des informations fiscales ?
Enfin, quatre Etats (Costa Rica, Malaisie, Philippines, Uruguay) coiffent le bonnet d’âne. Ils ont été jugés non coopératifs et composent la liste noire.
Une fois passées en revue ces trois listes, dont certains mystères restent à déchiffrer, on s’interroge sur ce qu’il est advenu des absents. Car de nombreux pays – y compris plusieurs Etats présents au sommet du G20 – ne figurent sur aucune liste.
Seuls les initiés sauront expliquer pourquoi l’Argentine a l’honneur de la liste blanche alors que le Brésil ne se retrouve nulle part, un "no man’s land" où l’on suppose aussi la présence de l’Afrique du Sud, de l’Arabie Saoudite, de l’Inde et de l’Indonésie, par exemple. Cette "non-catégorie" englobe aussi des pays industrialisés, comme Israël, ainsi que les dépendances chinoises de Hong-Kong et Macao, qui ont été détachées de la Chine (liste blanche) à la faveur d’une note de bas de page. Seul un lecteur attentif et doué d’un esprit déductif aura compris que les auteurs de ce classement auraient voulu ranger dans la liste grise ces "Special Administrative Regions". Mais les dirigeants chinois, s’inspirant sans doute du modèle américain, s’y sont apparemment opposés.
De nombreux Suisses ont été choqués que notre pays figure dans cette sorte de purgatoire que constitue la liste grise, alors même que le Conseil fédéral a formellement retiré ses réserves à l’article 26 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE. On peut comprendre leur dépit. Mais il faut bien reconnaître que, d’un point de vue matériel, l’existence de cette liste constitue un non-événement. Comme plusieurs autres pays et au même moment qu’eux, la Suisse a estimé trop dangereux d’encourir le risque de sanctions de la part de certaines des plus grandes puissances économiques et a décidé de modifier sa politique contractuelle en matière d’échange d’informations fiscales. Si l’on excepte quelques paradis fiscaux bien informés des règles très particulières du G20 (ce qui était manifestement le cas des dépendances de la couronne britannique), il était impossible de négocier en trois semaines la révision de douze conventions de double imposition, puisque tel est le chiffre magique décrété par l’OCDE.
D’un point de vue politique, il fallait s’attendre à ce que les pays représentés au G20 se ménagent mutuellement. D’où l’extrême discrétion à propos des territoires américains et chinois évoqués plus haut. D’où les questions qui se posent aussi à propos des pays "oubliés", dont on ignore s’ils doivent être considérés comme plutôt bons ou plutôt mauvais.
Cela dit, on ne peut s’empêcher de compatir avec les trois Etats membres de l’Union Européenne qui ont été montrés du doigt à la demande expresse de l’Allemagne et de la France. Ceci incite à réfléchir : en quoi l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg ont-ils été mieux servis que la Suisse ? Poser la question, c’est y répondre. A l’évidence, l’UE n’est pas – ou n’est plus – en mesure de défendre ses petits Etats membres contre les grands, surtout lorsque ces derniers s’allient avec encore plus grands qu’eux.
La même remarque s’applique à l’OCDE, qui s’est mise au service du G20 pour l’aider à faire pression sur certains de ses propres membres fondateurs. Comment cette organisation parvient-elle à marier ce mandat particulier avec ses statuts ? Son Secrétaire général s’en expliquera peut-être à Berne. Mais l’OCDE est une sorte de think tank officiel, non une institution politique. A cet égard, l’attitude de l’UE paraît encore plus contestable et l’on comprend les réactions de frustration que certains de ses Etats membres n’ont pu réprimer.
S’agissant de la Suisse, une chose et claire : elle ne devra se faire aucune illusion sur les intentions de ceux qui l’attaquent. Le Conseil fédéral tiendra bien sûr parole. Mais il n’en devra pas moins défendre pied à pied les intérêts du pays dans des négociations qui se dérouleront sous l’œil critique du peuple souverain. Et c’est peut-être à ce dernier qu’il reviendra de juger sur pièce de la qualité des premières conventions de double imposition révisées. Car si le G20 a la liberté de faire dresser des listes et de donner, selon des critères plus ou moins arbitraires, de bonnes ou de mauvaises notes aux Etats qui n’en font pas partie, il n’a pas encore le pouvoir d’entraver le fonctionnement de nos institutions.
Genève, le 8 avril 2009