Convention de double imposition: la Suisse ne doit pas signer n’importe quoi

par P.-G. Bieri, Secrétaire patronal, Centre Patronal.

Le projet de nouvelle CDI franco-suisse sur les successions, présenté il y a une année, s’écartait des standards fiscaux internationaux et donnait à la France des droits abusifs pour contester le domicile fiscal d’un défunt ou de ses héritiers. Tout porte à croire que ces anomalies n’ont pas été corrigées et qu’une «lacune conventionnelle» reste encore préférable à ce mauvais accord.


"La France prend ses désirs pour des réalités"

Où en est-on vraiment avec le projet de nouvelle convention de double imposition (CDI) sur les successions entre la Suisse et la France? L’été passé, on avait vu arriver un projet manifestement négocié dans la précipitation, sous la pression du nouveau gouvernement socialiste français. Ce projet, susceptible d’affecter de nombreuses personnes de part et d’autre de la frontière, était apparu inacceptable, violant la souveraineté fiscale de la Suisse et s’écartant des standards internationaux en matière de double imposition.

On nous annonçait que cette nouvelle CDI serait soumise aux Chambres fédérales à l’automne. Cela n’a cependant pas été le cas et les négociations entre les deux pays semblent s’être poursuivies, n’aboutissant toutefois qu’à un résultat décevant, sous la forme de deux concessions mineures de la part des Français. Des parlementaires se sont plaints de ne pas être tenus au courant. Certains, au début de cette année, ont posé des questions qui ont reçu de la part de la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf des réponses dont on ne sait s’il faut les qualifier de rassurantes ou de lénifiantes.

Il y a quelques jours, le ministre français de l’économie et des finances, M. Pierre Moscovici, a profité d’une intervention publique pour annoncer que la signature de la convention était imminente et pourrait avoir lieu au mois de mai. Cette déclaration a suscité une réaction pour le moins étonnée à Berne, où l’on assure qu’aucune discussion n’a eu lieu sur une quelconque date de signature, que la Suisse attend toujours une proposition formalisée et que, sans doute, «la France prend ses désirs pour des réalités».


Des règles contraires aux standards fiscaux internationaux

L’affaire tourne donc à la pantalonnade. Tout au plus faut-il se féliciter de ce que la presse et même certains médias audio-visuels attirent désormais l’attention sur ce sujet. En l’état, tout porte à croire que, dans le projet de CDI qui sera finalement soumis au Parlement, aucun des défauts rédhibitoires dénoncés dès l’été passé n’aura été corrigé.

Le point le plus inacceptable est que le gouvernement français veut rompre avec le principe de l’imposition au lieu du domicile du défunt et introduire une imposition concomitante au domicile des héritiers et légataires. Cela lui permettrait de prélever un impôt pouvant aller jusqu’à 45% sur les successions de personnes décédées en Suisse mais dont les héritiers – suisses ou français – résident en France. Or, une telle pratique est contraire aux standards fiscaux internationaux et en particulier au Modèle de convention de l’OCDE en matière de succession; ce modèle attribue en effet au seul pays de domicile du défunt la compétence d’assujettir les biens dévolus par héritage, à l’exception des biens immobiliers. La France, si intransigeante quant au respect des normes internationales par la Suisse, se montre ainsi très prompte à revendiquer des exceptions lorsqu’elle y trouve quelque intérêt.
 
De plus, dans le projet de CDI tel qu’il est connu, la France prend aussi ses aises avec les critères habituellement utilisés pour définir le domicile fiscal du défunt, menaçant ainsi de considérer comme «résidents français» certains contribuables domiciliés en Suisse. Mieux: le fisc français s’arrogerait le droit de contester la domiciliation en Suisse de certains héritiers si ceux-ci sont rentrés en Suisse peu de temps avant le décès.


La Suisse ne doit pas craindre de refuser un tel accord

Ces anomalies sont loin d’être insignifiantes. Elles visent les ressortissants Français résidant en Suisse on parle de 200'000 personnes), les Suisses domiciliés en France (environ 180'000), mais aussi, de manière plus générale, les héritiers en France de résidents suisses et les Suisses propriétaires de biens immobiliers sur territoire français. L’actuelle CDI franco- suisse, datant de 1953, a été dénoncée par le gouvernement français; c’est son droit. Cela ne justifie pas pour autant que la Suisse cède à tous les caprices d’un gouvernement financièrement et politiquement aux abois.

Répondant à une question du conseiller national Mauro Poggia, Mme Widmer-Schlumpf a affirmé qu’ "une lacune conventionnelle comporterait des risques de sécurité et de prédictibilité du droit" et que "la négociation d'une nouvelle convention était donc justifiée du point de vue suisse". Faut-il comprendre par-là que la Suisse est demanderesse dans cette affaire et que la France a eu beau jeu de poser ses conditions?

Contrairement à la position affirmée par la conseillère fédérale, on est en droit de penser qu’un "vide contractuel" serait encore préférable à un accord inéquitable et discriminatoire qui léserait la souveraineté fiscale helvétique et encouragerait des pratiques fiscales douteuses.


Paudex, le 30 avril 2013

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