Réglementation: faut-il redessiner la place financière ?

par Edouard Cuendet, Secrétaire général du Groupement des Banquiers Privés Genevois, Membre du Comité de l'UIPF et candidat au Conseil National .

Le temps de la dérégulation à tout crin est révolu, tout comme celui de l’infaillibilité des marchés. Mais le cadre réglementaire ne doit pas pour autant devenir étouffant, au risque de tuer l’esprit entrepreneurial qui fait la force de la Suisse et qui a traditionnellement permis à notre pays de caracoler en tête des classements mondiaux en termes de compétitivité et d’innovation.

La crise financière a brouillé le tableau

Les chiffres démontrent que la place financière suisse a mieux résisté à la grave crise financière qui a secoué la planète en 2008 que bon nombre de ses concurrentes qui ont dû être massivement soutenues par les pouvoirs publics et dont de nombreux établissements ont vécu une nationalisation partielle ou complète. En Suisse, la situation d’une seule et unique banque sur environ 350 a nécessité une intervention étatique. Cette situation comparativement enviable est due notamment au fait que le secteur bancaire suisse est davantage orienté vers la gestion de fortune privée et institutionnelle et le financement du négoce de matières premières, que vers les activités de banques d’affaires qui ont subi de plein fouet l’ouragan.

Les contrecoups de la crise ont mis sous une pression intense l’Administration et la FINMA. Ainsi, l’autorité de surveillance a produit une documentation abondante qui s’exprime sous des formes très diverses et dont il n’est pas toujours aisé de saisir la portée. On parle de ″Circulaires″, de ″Communications″, de ″Positions″, de ″Document de discussion″, d’″Enquêtes″. Le Gouvernement n’a pas été en reste puisqu’il s’est en particulier profilé sur les dossiers de la protection des déposants et des banques d’importance systémique (too big to fail).

La palette des mesures réglementaires

L’Administration fédérale et l’autorité de surveillance se sont elles-mêmes fixé des règles pour réglementer, un cadre dans le cadre, en quelque sorte. En 2005, l’Administration fédérale des finances, la Commission fédérale des banques (ancêtre de la FINMA) et l’Office fédéral des assurances privées ont publié des ″Lignes directrices applicables à la réglementation des marchés financiers″*. Ces lignes directrices énonçaient les dix commandements qui doivent régir toute activité réglementaire.
Selon ces principes, il convient notamment, lors de l’adoption de toute nouvelle réglementation, de veiller à la sauvegarde de la compétitivité de la place financière et de procéder à une analyse coûts/bénéfices. De même, la réglementation doit être différenciée et élaborée avec les milieux concernés. Enfin, les conséquences sur l’économie nationale doivent également être prises en compte.

Penchons-nous un instant sur l’exigence de concertation avec les acteurs concernés. Dans le processus réglementaire, il semble logique de solliciter l’avis des principaux intéressés qui bénéficient des connaissances pratiques nécessaires pour évaluer l’impact concret d’un nouveau texte légal. Bien entendu, l’infaillibilité de ces spécialistes ne doit pas être érigée en dogme (pas plus du reste que celle des superviseurs), comme l’histoire récente l’a démontré.

Dernièrement, il s’est avéré que l’application de ce principe n’était pas toujours évidente. Ainsi, dans le cadre de la révision du système de garantie des dépôts, l’Administration fédérale a mené une réflexion à l’interne, sans créer de groupe de travail mixte incluant le secteur bancaire. Le projet mis en consultation prévoyait notamment la création d’un fonds de droit public financé par les banques, à hauteur de 4% des avoirs privilégiés des épargnants. Le projet mis en consultation a suscité une levée de bouclier non seulement dans la place financière, mais également dans certains cantons qui craignaient à juste titre pour la santé de leur banque cantonale. En effet, le préfinancement permanent des avoirs privilégiés entraînerait chaque année des coûts de plusieurs milliards. Or, la répercussion de ces coûts sur les clients rendrait l’épargne non attractive. Une source importante de refinancement pour les banques serait ainsi mise en péril. Ces réactions très négatives ont amené l’Administration fédérale à remettre l’ouvrage sur le métier dans le but d’élaborer un nouveau texte qui puisse obtenir un soutien plus large.

La place financière n’est pas monochrome

Un autre précepte évoqué précédemment mérite une attention particulière, à savoir la nécessité d’élaborer une réglementation différenciée.

On oublie trop souvent que la place financière est composée d’un grand nombre d’établissements bancaires dont la taille varie de moins de 20 personnes présentes uniquement en Suisse à plusieurs dizaines de milliers de collaboratrices et collaborateurs disséminés à travers le monde. La même diversité se retrouve dans les modèles d’affaires. Il ne faut pas non plus oublier dans cette réflexion les banques actives dans le financement du négoce international dont l’activité a connu un développement considérable ces dernières années et qui ont contribué à faire de Genève un centre d’importance mondiale dans ce domaine. A cela s’ajoute une multitude d’autres acteurs qui, à l’instar des créateurs et distributeurs de fonds de placements, des hedge funds et des gérants indépendants, participent chacun à leur manière au développement du secteur financier helvétique.

Chaque pièce de ce puzzle doit être soumise à une réglementation adéquate et proportionnée. Il ne se justifie pas de laisser certains pans d’activités hors du champ réglementaire, au risque de créer des inégalités de traitement. Il est tout aussi incongru de vouloir imposer les mêmes règles à tout le monde. Le principe one-size-fits-all n’a pas sa place dans le monde bancaire.

Le Conseil fédéral a respecté ce principe de différenciation dans les aspects réglementaires du projet too big to fail. Mais, les autorités ont prévu une capitalisation supérieure à celle des institutions comparables dans des Etats plus importants en taille. Or, cette option risque de créer un handicap compétitif pour les grandes banques suisses et de peser par ricochet sur le reste de l’économie nationale en renchérissant le coût du crédit aux entreprises. Le monde politique devra donc procéder à des arbitrages entre les inconvénients liés à une sévérité trop grande et ceux que pourrait entraîner un manque de prudence.

Conclusion : la toile doit primer sur le cadre

Pour répondre à la question posée dans le titre du présent article, il ne s’agit pas de redessiner la place financière par le biais de la réglementation. Cette dernière doit se limiter à cadrer une activité de manière proportionnée. Par ailleurs, tout le paysage bancaire et financier doit être inclus dans le tableau. Il ne se justifie plus de laisser certains sujets hors du cadre.

Enfin, et surtout, il est admis que dans le domaine de la gestion de fortune et de l’″asset management″, l’attractivité de la place financière helvétique ne se décrète pas à travers des règlements, mais dépend principalement de la compétence des intervenants et de leur capacité à attirer des talents capables de répondre aux attentes d’une clientèle privée et institutionnelle de plus en plus sophistiquée et exigeante.

Cette volonté de promouvoir la compétitivité de la Suisse sera prochainement soumise à un test grandeur nature. En effet, la future révision de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) devra permettre d’adapter notre législation à la Directive européenne AIMF qui concerne les gérants de fonds alternatifs. Il s’agira d’une occasion à ne pas manquer pour moderniser notre cadre légal dans les domaines de la gestion, du dépôt et de la distribution de ces produits. De cette révision dépendra sans doute le développement et le maintien en Suisse de certaines compétences dans le domaine des fonds de placements. C’est là toute la subtile nuance qui existe entre les banques suisses, qui peuvent aussi se déployer à l’étranger, et les banques en Suisse. Notre réglementation doit évidemment favoriser la seconde option.

Genève, le 30 juin 2011

* Cf. ″Lignes directrices applicables à la réglementation des marchés financiers″, Département fédéral des finances, septembre 2005, www.dff.admin.ch

 

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